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Photo du rédacteurLes Psychopathes du Polar

Un entretien passionnant avec Patrick BAUWEN/MN©

Bonjour Patrick, tout d’abord un grand merci à toi d’avoir accepté de répondre à mes questions.


Merci aux Psychopathes du Polar pour cette joyeuse invitation


Pour commencer, peux-tu nous parler un peu de toi ? Qui es-tu Patrick BAUWEN ?


Je suis un grand type aux cheveux noirs qui soigne des personnes durant la journée et qui en tue d’autres pendant la nuit. Les premières sont réelles. Les secondes sont en papier. Bizarre, hein ? Je suis gentil avec mes patients et les gens, d’une façon générale. Mais un peu moins avec mes personnages. Il y a des cas célèbres de doubles personnalités parmi les médecins. Notamment un certain gars qui buvait un élixir, à Londres, au XIXe siècle. Moi, pas besoin de potion, il me suffit de me m’assoir devant un clavier.


J’ai lu que ton nom est un pseudonyme, pour quelle raison ?


Mon nom d’auteur est un pseudonyme pour deux raisons. La première : mon vrai nom est déjà celui d’un auteur de romans jeunesse. Je ne pouvais donc pas l’utiliser. La deuxième : je tenais à dissocier mon travail de romancier et mon métier de médecin. Ainsi chacune de mes deux personnalités reste sagement à sa place. C’est mieux. De toute façon, découper mes patients à la scie sauteuse risquerait de me poser un problème médico-légal. Si vous êtes souffrant, venez seulement me voir quand je porte une blouse blanche, OK ? On ne sait jamais ce qui pourrait vous arriver à un autre moment…


Quelle place occupait la lecture dans ta famille ?


Une place essentielle. Dans ma famille, tout le monde lit beaucoup. Il y a des bibliothèques dans toutes les pièces. Mon père m’a fait découvrir la science-fiction dès l’école primaire, nous lisions les mêmes romans et on en parlait ensuite. Tout comme mon grand-père et lui se passaient les Jules Verne et autres Edgar Poe. J’ai d’ailleurs toujours les bouquins de mon grand-père – collection Rouge & Or 1947 – dans notre maison d’enfance. Je le vois encore me dire, le regard pétillant : « surtout ne lis pas Le Puit et le Pendule, ça fait peur ! ». Tu parles, c’était le meilleur moyen de me tenter, et mon grand-père le savait parfaitement. Mon paternel est aujourd’hui encore un très grand lecteur, il s’avale facilement ses 100 romans par an. Il leur attribue ensuite une note sur 10. En dessous de 5, il les jette pour éviter de trop envahir sa maison, déjà bien remplie. À partir de 7, il me recommande leur lecture. Mais il ne met jamais 10/10, même à son fils, le bougre ! Cette année, il m’a recommandé Femmes sur Écoute de Hervé Jourdain : « un excellent bouquin, fils ».Je reste persuadé que la lecture est une affaire de tradition familiale. Un peu comme on apprend à goûter les bons vins.


Que lisais-tu lorsque tu étais enfant ? et maintenant ?


J’ai commencé la lecture par des collections complètes. Tous les Fantômette et tous les Clan des Sept en Bibliothèque Rose, puis tous les Conquérants de l’Impossible en Bibliothèque Verte. Ça doit rappeler des souvenirs à certains, n’est-ce pas ? Puis, dès le CE1, je suis passé à la collection Présence du Futur chez Denoël : Isaac Asimov et son Cycle Fondation, Bradbury, Brussolo. Puis Stephen King, presque en intégralité. Et deux grands récits extraordinaires qui m’ont beaucoup marqué : le Seigneur des Anneaux de Tolkien, et Dune de Franck Herbert. En sixième, je me disputais avec mon père sur la prononciation de Kwisatz Haderach (le nom du messie de Dune). Quant à Tolkien, il a changé le cours de ma vie. C’est certainement grâce à lui que je me suis intéressé aux Jeux de Rôles, et que j’ai commencé à créer mes premières histoires. Aujourd’hui, j’apprécie des genres très variés. Récemment, j’ai beaucoup aimé la trilogie Vernon Subutex de Virginie Despentes, mais aussi Lontano et Congo Requiem de JC Grangé. J’adore également relire de vieux trucs, comme un bon Lovecraft. Je furète aussi parmi les publications scientifiques ou les livres de vulgarisation médicale pour préparer mes prochains romans. En ce moment, par exemple, je lis Homo Artificialis du professeur Guy Vallancien qui traite de l’avenir de la médecine. Passionnant !


Ton métier te laisse t-il suffisamment de temps pour écrire ?


J’ai une organisation bien rôdée. Je suis médecin urgentiste du samedi au lundi, et romancier du lundi au vendredi. C’est tout l’un, ou tout l’autre. Cette alternance me convient parce que chacun des deux métiers fournit une évasion. Trop de pression aux urgences ? Hop, j’écris ! Un coup de mou dans l’écriture ? Hop, retour à l’action dans l’arène des urgences !


Y a-t-il des moments précis où tu écris ?


J’ai trois temps d’écriture, correspondant à des moments différents de mon « cycle d’écrivain ». La Période Cool, le Tour de Chauffe, et la Guerre. La Période Cool. C’est le moment durant lequel je réunis des infos en laissant mon esprit vagabonder. Je traque les idées partout : pendant mes voyages à l’étranger (autre grande passion), durant l’exercice de la médecine (source permanente d’inspi), ou en lisant. La Période Cool dure 2 à 3 mois, mais elle est indispensable pour rassembler mes forces. Toutes mes idées se retrouvent classées ensuite dans un grand fichier intitulé La Boite à Outils. Je voyage pour mes repérages, je classe les recherches qui vont enrichir la substance de l’histoire, je travaille mes personnages et les grands twists, puis je trace la base du plan, et c’est parti. Le Tour de Chauffe. Quand le roman commence réellement, la Boite à Outils est prête et je n’ai qu’à plonger les mains dedans pour saisir les instruments et bâtir l’histoire. J’écris alors le matin de 10h à midi. Puis l’après-midi de 15h à 18h, et encore un peu le soir. Au total, 6 à 8h par jour, du mardi au vendredi. Je fais souvent une sieste dans l’après-midi pour me reposer et repartir avec les idées claires. Je pratique ces micro siestes depuis des années à cause du rythme des nuits de gardes. Cette phase dure environ 2 mois, c’est un long Tour de Chauffe qui me permet d’atteindre le rythme de ce que j’appelle « La Guerre ».La Guerre, c’est la phase sans limite. Je peux alors écrire 15 heures par jour, pratiquement sans manger et en dormant très peu, durant 2 à 3 mois. Pas de sieste réparatrice, pas de séries télés, peu de communications extérieures, pas de Facebook et bien sûr pas de téléphone. Je vis en « mode avion », alternant mon travail de médecin (qui continue exactement au même rythme) et le boulot d’écriture. La Guerre envahit tout. L’essentiel du roman se déploie durant cette période, dans une ivresse folle qui ressemble au rythme des urgences. Pendant cette phase, je suis totalement possédé par les personnages, en fusion avec l’histoire. J’écris alors souvent en parlant à voix haute. J’ai certainement l’air timbré. Mais c’est là aussi que ma productivité est la meilleure. Lors d’une journée satisfaisante, je peux sortir une quinzaine de bonnes pages. Guerrier !


Peux-tu nous raconter comment tu as commencé à écrire ? et pourquoi le polar ?


Dans ses Nouveaux Contes de la Folie Ordinaire, Charles Bukowski écrit « L’écriture te choisit, tu ne choisis pas l’écriture ». J’ai recopié cette phrase dans un cahier à l’âge de 18 ans. À l’époque, elle me semblait parfaitement résumer mon état d’esprit : un besoin viscéral dont je n’aurais jamais pu me passer. Avec le temps, j’ai compris la véritable nature de ce besoin. En réalité, mon cerveau a tout simplement une envie irrésistible de jouer. Et mon jeu favori consiste à bâtir des univers, des personnages et des histoires. Or je déteste m’amuser seul, il me faut des joueurs : vous. Donc nous voilà, vous et moi.Pourquoi le polar ? Parce que qu’il s’agit du meilleur terrain de jeu possible. On peut tout y aborder. Toutes les époques, tous les styles. Et il y a plein des règles, plein de façons de faire, de twists, d’idées nouvelles, de tactiques pour surprendre le lecteur. C’est un genre exigeant et complexe. Un jeu d’initiés. Parfait pour moi.

Je me suis demandé quel a été l’élément déclencheur pour écrire L’ŒIL DE CAINE ton premier ?


Comme souvent, il est né d’une frustration. J’ai vu un film qui m’a beaucoup fait réfléchir. J’ai imaginé mille retournements possibles. Et j’ai été déçu par le peu d’idées exploitées. Alors je me suis dit : « ce film, je vais l’imaginer, moi, pour m’amuser ». C’est exactement ainsi que fonctionne le cerveau des enfants. Ils voient un film, ils sont à la fois fascinés et frustrés par sa durée trop courte, alors ils le rejouent avec leurs petits soldats, leurs poupées, en créant des tonnes de variantes. Ils s’amusent ! Plus tard, les enfants grandissent et continuent de jouer. Que se passerait-il si un film noir de détectives se déroulait dans le futur ? Et voilà Blade Runer ! Et si le requin en plastique dans mon bain bouffait les gens sur la plage ? Les Dents de la Mer ! Les scénaristes et les écrivains sont de grands enfants.

Dans SEUL A SAVOIR tu parles des MARMOTTES EXHIBITIONNISTES (qui a changé de nom depuis ! J), peux-tu nous en dire quelques mots ? Depuis quand fais-tu partie de ce collectif ? Et comment c’est arrivé ?


Les Marmottes Exhibitionnistes constitue le tout premier nom (assez délirant, certes) de notre collectif qui s’appelle aujourd’hui La Ligue de l’Imaginaire. J’en fais partie depuis maintenant une dizaine d’années. C’est Bernard Werber qui m’a appelé pour me proposer de rejoindre le groupe. Un moment que je n’oublierai jamais. Mon téléphone sonne. C’est lui. Je suis dans ma chambre. Je reviens de garde. Je tourne en rond, un peu en surchauffe, un peu sur un nuage, comme toujours à ce moment-là. Son coup de fil me prend par surprise, on ne s’est jamais parlé. On reste deux heures à discuter à bâtons rompus, de science-fiction, d’écriture, de rêves, de nos vies… J’avais l’impression de le connaître depuis toujours ! Bernard, c’est le Grand Enfant avec qui ma part de Grand Enfant communique. Ou plutôt « communie », devrais-je dire. Il n’y a aucune autre personne avec qui je discute de cette façon. Il a décelé en moi un doux dingue. Qui se ressemble s’assemble… et donc, j’ai rejoint la bande.Le but officiel de la Ligue est la défense de la littérature de l’Imaginaires sous toutes ses formes. Mais au-delà, l’intérêt principal est de se retrouver entre amis et de se faire plaisir, de parler, d’échanger. Nous discutons de nos boulots, de nos écritures, de nos vies, de nos difficultés, nos plaisirs et nos galères. C’est extrêmement thérapeutique et salvateur. Au contraire du métier de médecin – qui est très carré et que je peux quasiment exercer les yeux fermés tant il m’est familier – Le métier d’écrivain n’est pas ordinaire : c’est un yoyo émotionnel permanent. Il s’agit d’un artisanat qui a tendance à rendre fou l’artisan lui-même, et sa famille avec. En parler est extrêmement important pour rester sain d’esprit. Ou tout du moins pour profiter de cette folie douce qu’est l’écriture, sans s’y noyer. En résumé, la Ligue est une famille. Un lieu bienveillant, peuplé de gentils dingues bienveillants, de rêveurs qui ont conservé une bonne partie de leur imaginaire d’enfant. Certainement l’un des meilleurs entourages qui soit. Je les aime tous beaucoup, ces fichus cinglés.

Ton dernier roman JOUR DE CHIEN se passe à Paris alors que les autres aux EUnis, pourquoi ?


Je disposais d’un décor extraordinaire, Paris, qui est un personnage en soit, et que j’adore arpenter. Cela a toujours été vrai, depuis mon arrivée en fac de médecine. Mais je n’avais jamais entrepris d’utiliser ce décor avant. Pourquoi ? Sans doute parce que je n’avais pas atteint la maturité pour cela, c’est à dire le recul pour l’incorporer à mes livres. Avant, j’aimais décaler mes romans au sein d’un autre environnement, haut en couleur et que je connais bien : celui du sud des États-Unis. Aujourd’hui, la Cité des Lumières me parait plus ensorcelante. Je suis peut-être également un peu plus légitime pour en parler, puisque j’y vis. Cela me permet d’explorer son côté historique, car j’adore l’histoire de Paris, tout comme l’histoire de la médecine, et les deux sont étroitement liés. Je peux aussi parler de ses aspects les plus sombres, car je les côtoie quotidiennement dans mon métier d’urgentiste. Développer un cycle de romans basé dans notre bonne vieille capitale m’est donc venu naturellement. J’ai créé pour cela un personnage précis, le Dr Chris Kovak, qui est un mélange de plusieurs personnages réels, et qui me ressemble assez, c’est sûr. Il fonctionne sur des ressorts que je maîtrise : son enfance, ses années de médecine, son environnement, ses relations, ses sentiments. Au-delà de Kovak, j’ai imaginé un univers dense composés de fraternités mystérieuses, de tueurs hors normes évoluant dans des endroits étranges, de secrets enfouis, et surtout d’un groupe d’enquête bien particulier qui va être confronté à tout cela : le groupe Évangile. « Évangile » est d’ailleurs le nom de ce cycle de romans, que vous verrez évoluer au cours des prochaines années. Parfois les livres se suivront. Parfois ils seront entrecoupés de romans différents. Il est probable que vous retrouverez bientôt Paul Becker (le héros de Monster, et Les Fantômes d’Eden), ou même certains personnages de L’Oeil de Caine… Mais chut…


- Ma dernière question a un rapport avec ton métier, qui j’imagine est très prenant et intense, as-tu une anecdote sympa à nous faire partager ?


Je n’en pas qu’une : j’en ai beaucoup. Elles sont toutes dans les romans. Le syndrome de l’Exorciste, la femme qui arrive aux urgences avec un os humain, les fêtes étranges dans les catacombes, les trafics médicaux les plus improbables, l’argent des laboratoires, les situations rencontrées aux urgences, les anecdotes des flics, les tueurs, les déviances, les lieux dingues… Tout ce que j’écris est vrai, ou directement inspiré de faits réels. Je ne fais que relier les points entre eux et mettre en scène une histoire que j’essaye de rendre la plus captivante possible. Si vous vous dites « non, il raconte des histoires, c’est impossible… », prenez votre navigateur web favori, entrez les infos, et mettez-vous en chasse. Vous verrez par vous-même. Et s’il m’arrive de changer les noms, les dates, les lieux, sachez que ce n’est pas toujours le cas. Certains personnages des romans sont présents sous leur vrai nom, dans les vrais endroits. Cela fait partie du jeu. Et qui sait… VOUS pourriez très bien vous retrouver dans l’histoire un jour !Alors à bientôt, entre deux pages ?


Un énorme merci Patrick pour ces confidences et je crois que nous avons rendez-vous le 12 mai ! alors à très bientôt.

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